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Affichage des articles du mai, 2017

Papiers qui brûlent...

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   Dans son (excellent) essai sur la honte et la pudeur, qu'il explore toutes deux comme œuvrant au cœur de toute littérature, Jean-Pierre Martin entend signaler que la pudeur et la honte ne dépendent pas entièrement du statut, éditorial ou non, du texte (écrit intime ou public, destiné ou pas à la publication) mais plutôt de la crainte d'exister aux yeux des autres "sous des traits fixés". Il peut y avoir plus de teneur confessionnelle, une mise à nu plus radicale, dit-il, dans un écrit fictionnel que dans une lettre intime. Gogol, à ce sujet, était le champion du reniement effectif, brûlant ses textes lui-même, quand Kafka, lui, demandait de le faire (après sa mort) à son ami Max Brod... sachant qu'il ne pourrait alors vérifier, comme Marcel Proust le fera auprès de Céleste Albaret, la bonne exécution de la tâche... Quant à Michel Leiris, au contraire il considérait qu'il fallait tout garder - car selon lui, la rature ou la suppression des brouill

Je le dis ?

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"Je le dis ou ne le dis pas?..." C'est souvent de cette manière, par cette phrase, que commence une page du Journal que l'on tient - même si on ne le dit pas ni se le demande à proprement parler...  On doit quand même pourtant veiller à ce que ce Journal contienne un minimum d'esprit et de vigueur (certains s'en fichent éperdument, écrivant pour se soulager ou tout simplement "s'exprimer"), moi, il me faut de la rigueur, juste ce qu'exige le niveau moyen de ce qui risque un jour de s'imprimer (ou de se retrouver "en ligne")  et cela constitue une sorte de barème, de repère que l'on se fixe, même si l'on se sent libre de mettre dans ce sac de mots mille choses disparates et de garder les coudées franches. Mais l'on garde aussi à l’œil et à l'esprit qu'il n'est pas nécessaire d'écrire et faire paraître bien des pages qui nous sembleront après coup à nous-mêmes franchement inutiles, à

Littérature, ma propre histoire

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   Quelques pages formidables dans le Journal de Gombrowicz, lues au matin très tôt, dans ma tête embrumée malgré une bonne nuit, à cause des bourdonnements d'oreilles qui n'ont pas cessé depuis maintenant douze jours. Gombrowicz, que j'avais laissé de côté le tenant presque pour responsable (avec d'autres choses variées) des vibrations intérieures dont je souffre actuellement de manière continue (sauf, heureusement, la nuit). Avec son style accrocheur, strident sur la durée, authentique et sincère - il va fouiller jusqu'au tréfonds de l'âme si tant est qu'on en ait une d'âme -, qui débusque toutes les facilités, fait la chasse aux modes du moment sans se prendre jamais lui-même totalement au sérieux. En face de lui et le lisant, on prend un coup à son ego. On se voit devenir minuscule - mais minuscule comme tant d'autres. On n'est pas seul ; ça non !... Fatiguée soudain, je me suis pourtant mise à lire des choses plus reposantes. De

Roman-philo (suite)

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p.100  Le baume au cœur, que je passais et repassais sans cesse sur et autour de la plaie, m'en enduisant presque entièrement, était la seule et pauvre idée que c'était moi - et bien moi, personne d'autre - qui l'avais quitté. Cela devait quelque part misérablement me rassurer. Et le pansement marchait un peu. Un temps. Au fond, il n'y était pour rien, ce n'était pas de sa faute. Peut-être aurait-il préféré que cela continue entre nous. Mais je n'en étais même pas certaine. Je sentais le sol se dérober sous mes pieds, comme s'il s'inquiétait lui aussi, à chacun de mes pas. Le sol, et pas seulement… le ciel aussi était lourdement chargé ; les nuages noirs bouchant le ciel bas du chagrin enténébraient toute espérance, il se faisait alors menaçant, et quand il faisait beau, vraiment beau, nuages blancs éblouissants, arbres commençant de verdoyer, la douleur se réveillait alors, bien plus subtile et innocemment perverse, et ne laissait filtre

Le Roman et la philo

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Le roman p.100 Le dernier amour , Danièle Sastre... et la philo... p. 361-372 L'irréversible et la nostalgie ,  Vladimir Jankélévitch Un mois est passé. Doucement, souplement et petit à petit, j'ai pu sinon retourner au moins passer dans les lieux où nous avions l'habitude (ça vient vite, les habitudes) de nous retrouver, emprunter certaines rues, passer devant Notre-Dame (juste après la séparation, je faisais un détour pour l'éviter), regarder son banc - vide - où il dessinait. Pour chaque endroit, plutôt que de regrets,  je me suis appliquée à me souvenir des petits pincements au cœur, agacements ressentis avec lui, à certains moments : une maladresse, un silence pesant, une connerie qu'il avait pu dire... Mais combien de fois m'avait-il vexée, exactement ? j’essayais de faire le décompte. Jamais blessée, en tout cas. J'ai pu progressivement, en faisant bien attention et prenant des mesures de précaution telle une grande malade en tout début de co

A vif ou barricadée

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Samedi 13 mai, minuit Je fais ce qu'il se doit ; fais ce qu'il faut pour que sa compagnie reste un moment d'à propos. En quel honneur il me répondrait? De quel droit me poserait-il des questions? Tout est faux. et en même temps, tout est authentique. Mais on ne peut pas non plus décoller nos pieds du sol. Cette illumination au fond n'est peut-être qu'une sombre machination. ... Je trouve ces lambeaux de phrases au matin, écrits (au crayon de papier) sur une feuille volante (hors carnet) à côté de mon lit. C'est bien mon écriture (un peu déformée mais la reconnais). C'est sans doute moi qui ai gribouillé ces mots. Pas de doute là-dessus. Mais quel "moi" ?... Je ne sais pas ce que ces mots veulent dire. Je me souviens (vaguement) moi qui n'écris jamais le soir m'être sentie tomber de sommeil, avoir éteint, puis obligée de rallumer quelques minutes après et par trois fois pour noter (en râlant contre moi-même) ce

La création différente

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Dans son Journal (oui, j'y reviens toujours), Gombrowicz écrit (écrivait) que "loin d'être l'affaire d'une seule pensée, d'une seule découverte, l'oeuvre d'art est une création née de mille petites inspirations, le produit de quelqu'un qui s'est installé dans sa propre mine et en tire des pépites toujours nouvelles"...  Tout ce qui est pur, en fait de style, commente-t-il, est élaboré . Plus loin, il s'adresse à Milos z, et remonte depuis lui jusqu'à Hegel : "L'art a en lui quelque chose de triomphal, même lorsqu'il se tord les mains de désespoir. Hegel ? Hegel n'a pas grand-chose de commun avec nous, car nous sommes danse . Celui qui ne se laisse point dépouiller saura répondre aux créations du marxisme par une création différente qui ne pourra que nous surprendre par l'inattendu de sa vivante richesse.  Milosz a-t-il eu assez de force pour se dépêtrer de la dialectique qui l'entrave ? S&#

L'appel du 7 mai

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De plus en plus il me semble que je m'éloigne de cette "liberté de commande" dont parlait dans son Journal Gombrowicz, au sujet de celle de Sartre (et de Dionys Mascolo). La liberté devenue rigide et excessive. Celle qui est tellement intellectuelle qu'elle en devient une nouvelle prison. "Ma liberté à moi, écrit-il, c'est la normale, la simple "franchise" de tous les jours, indispensable pour vivre, e t qui relève de l'instinct bien plutôt que de la réflexion ; une liberté qui, refusant d'être un absolu, veut demeurer affranchie, c'est-à-dire n'importe laquelle : affranchie même envers sa propre liberté. La liberté ! Mais pour être libre, encore faut-il ne pas vouloir l'être trop. Mercredi (p.198) Le vent. Gros nuages qui, venant du midi déferlent vers les cimes. Solitaire, cette poule sur le gazon, qui picore... Etre un homme concret. Etre un individu. Ne pas s'efforcer de changer le monde, en le transformant dan

Faire et agir, destin de l'homme

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7 mai 2017 C'est drôle... Jankélévitch a toujours le bon mot, la belle tournure, la fine analyse pour rendre compte de toutes choses qui nous arrivent. Je m'en remets toujours à lui. Pour les bonnes choses - comme pour les terribles. C'est ma Bible. "L'avoir-fait et l'avoir-été ont modifié définitivement l'histoire et caractérisent désormais un certain type de succession irréversible ; sans cet avoir-eu-lieu l'histoire serait une autre histoire.  Un seul événement irrévocable, quelque i nsignifiant et fugitif qu'il soit, marque pour toujours de son empreinte la totalité d'une vie. Une espèce d'expérience tangentielle fixée dans un concept-limite.  L'avoir-eu-lieu irrévocable (avoir-fait ou avoir-été) étant désormais éternellement disponible et acquis pour toujours, notre inquiétude, notre fiévreux attachement au passé sont maintenant sans raison ; l'avoir-eu-lieu ne peut plus être remis en question (seules ses con

Les cahiers de Laurent Terzieff

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Stefan Zweig, en 1941, dans ses Souvenirs d'un Européen , confie : "Je ne m'intéressais pas à la cote dont jouissait un homme sur le marché des valeurs et des réputations internationales ; ce que je recherchais, c'étaient des manuscrits originaux ou les projets de poèmes, de compositions, parce que le problème de la genèse d'une œuvre d'art, sous son aspect biographique aussi bien que psychologique, me préoccupait plus que tout le reste.  Cet instant de transition infiniment mystérieux où un vers, une mélodie, surgissant de l'invisible, de la vision et de l'intuition d'un génie, entre dans le monde des réalités terrestres sous une forme fixée graphiquement, où pourrait-on le surprendre et l'observer si ce n'est dans ces manuscrits primitifs des maîtres, nés dans la lutte ou le feu de l'inspiration, comme dans un état de transe ?  Je n'en sais pas assez d'un artiste quand je n'ai sous les yeux que son œuvre ache

Recette de Chef

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La recette du Chef (Witold Gombrowicz) Pénétrez dans la sphère du songe. Puis mettez-vous à rédiger la première histoire qui vous passe par la tête, et écrivez- en une vingtaine de pages. Relisez-la. Sur ces vingt pages, il y aura peut-être une scène, deux ou trois phrases, une métaphore qui vous paraîtront excitantes. Alors vous récrirez le tout à nouveau, veillant à ce que ces éléments excitants deviennent votre trame - écrivez cela sans tenir compte de la réalité, en tâchant de satisfaire aux seuls besoins de votre imagination.  C'est alors que, mû par une logique interne, tout commencera à prendre corps et forme sous vos doigts : scènes, personnages, idées, images exigeront d'être complétés, et ce que vous aurez créé vous dictera le reste.  Cependant, tout en vous soumettant ainsi passivement à votre ouvrage, en lui permettant de se créer de lui-même, il vous faut veiller - c'est là l'essentiel - à ne pas cesser, fût-ce un instant, de le dominer. V