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Affichage des articles du janvier, 2018

Entre nous (84)

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Jeudi 20 juin 1996 Contrecoup des événements récents - ils furent nombreux - je me sens bizarre, j'ai sans cesse envie de pleurer, surtout après avoir discuté longuement avec Serge, au lendemain de l'enterrement de sa mère. La mort de celle-ci l'a considérablement ébranlé, bien sûr, mais pas forcément comme on aurait pu s'y attendre, enfin comme moi, je m'y attendais...  J'ai cru entrevoir chez lui, pendant quelques jours, une sorte de rapprochement vers les choses essentielles de la vie, une lumière particulière qu'il se refusait auparavant à suivre. Il a parlé d'amour, d'amour pour Ida, qu'il ne soupçonnait même pas ressentir aussi profondément "dans ses entrailles". Alors que pour chacun qui l'approchait un tant soit peu cet amour-là était assez évident, il se refusait à lui donner crédit, semblait y résister, et disait même plutôt, "la haïr". Cela me paraissait tellement pesant, ce refus entêté (aimer sa m

Entre nous (83)

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Jeudi 13 juin 1996 Le surlendemain de ma visite à Roger rue Sébastien-Bottin (je voulais même le faire dès le lendemain, mardi, mais j'ai pensé qu'il ne valait mieux pas), je l'ai rappelé pour lui demander si, à son avis je n'aurais pas dû conserver la feuille sur laquelle il avait noté ses critiques et remarques. Car je ne me souvenais pas de toutes... "Non, non, a-t-il fait, elle était illisible d'ailleurs, sauf pour moi, et de toutes manières je vous ai dit tout ce qu'elle contenait. Mais je suis content que vous m'appeliez car j'étais en train de me demander si je n'allais pas vous écrire un petit mot pour vous dire combien j'ai aimé vos poèmes... C'est cette poésie-là, que moi j'aime. J'ai hâte que Claude Roy revienne, pour pouvoir lui donner ceux que vous m'avez remis à son intention..." Je n'aurai pas son "petit mot" du coup. Dommage... J'aurais mieux fait de ne pas appeler. Pour rien,

Entre nous (82)

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Lundi 10 juin 1996 La semaine dernière, j'ai reçu un appel de Roger Grenier. Il voulait me dire qu'il avait lu mon manuscrit ( Pas d'histoire , le titre) et l'avait trouvé "intéressant"... Il y a un style, vraiment... mais aussi beaucoup de fautes...  A ï e . Il faudrait que l'on revoie tout ça ensemble, quel jour vous convient-il ? Je bredouille : Non mais vous , dites... votre jour sera le mien. Ça m'ira... (je ne sais même plus quelles formules il faut employer dans ces cas-là). Il me propose donc de venir à son bureau, "chez Gallimard, 5 rue Sébastien Bottin", précise-t-il (je la connais, l'adresse...)... Eh bien... voyons... attendez... je regarde mon agenda... mettons, lundi matin, 10h30 ?... Ça vous va ? Entendu! À bientôt, alors... On raccroche. Tout un tas d'événements familiaux, depuis le jour de son appel, mardi, m'ont empêchée de "revoir  ma copie" (fiston hospitalisé 24h à Trousseau pour

Entre nous (81)

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Lundi 3 juin 1996 J'ai revu un ex, un de ceux du lointain passé, dans un café, place de la Madeleine. Je l'ai reconnu à sa démarche quand il a traversé pour me rejoindre, à la sortie du métro. C'est curieux, une démarche, ça ne s'oublie pas. La sienne, autrefois, alors qu'il avait la trentaine à peine, était déjà lourde et légèrement claudicante, quelque chose en elle de nonchalant aussi... J'ai vu qu'il ne portait plus la barbe et arborait un costume trois-pièces de la maison de prêt à porter de luxe (d'où le lieu de notre rendez-vous) pour laquelle il travaille à présent, "après des années de galère", m'a-t-il dit d'emblée. Je l'ai reconnu de loin à sa démarche, puis quand il m'a embrassée, à son odeur. C'est très étonnant. Vingt ans après, à moins qu'il n'ait pas changé d'eau de toilette pendant tout ce temps, auquel cas ce que je crois reconnaître ne serait que son parfum, c'est son odeur à lui s

Entre nous (80)

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Jeudi 30 mai 1996 Il porte ce jour une veste de lin noire et un large pantalon de toile beige. D'emblée, il me dit être sorti la veille au soir. - Et... tu es resté habillé pareil ? - Oui, c'est ça, me suis couché tout habillé... Mais non, j'ai rien trouvé ce matin à me mettre. J'ai pris ce qui m'est tombé sous la main. - Ta femme n'était pas là pour te préparer tes vêtements ? - Partie bosser... - Tu es sorti seul ? Ou bien avec elle... - Toutes ces questions... T'es jalouse ? - Non, pour savoir seulement. - C'est bien ce que je dis... Oui, j'étais avec Agnès. - Je ne sais pas pourquoi tu voudrais que je sois jalouse. J'ai beau te dire que je ne le suis pas, et surtout pas d'Agnès, tu remets tout le temps ça sur le tapis... - C'est parce que moi, je le suis. De ton mari, principalement. - Oui, j'ai senti, et pas que d'ailleurs... Dès que je parle de quelqu'un tu te raidis, te refermes. - Tu f

Entre nous (79)

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Mardi 28 mai 1996 Agression verbale quand quelqu'un, trop tôt le matin, brise le silence... Je lis (dans Dialogues , de G. Deleuze, 145) que le régime alimentaire de Nietzsche, de Proust ou de Kafka, c'est aussi une écriture , et ils la comprennent ainsi; manger-parler, écrire-aimer, jamais vous ne saisirez un flux tout seul... La vie a repris, après la mort de Mr Louis, mon voisin. On connaît ses proches et ses semblables, jamais ses voisins, qui peuvent être d'une autre planète, qui sont toujours d'une autre planète. Seuls les voisins comptent. (GD, 134).  Comme on fait son lit, on se couche, personne ne viendra vous border. Les choses ne commencent à vivre qu'au milieu. (GD, 68). Monsieur Louis est mort hier soir, à vingt et une heures. Un lundi de Pentecôte. Mort de mort violente dans son lit. Dans le roman, il était mort depuis une semaine. Je l'avais tué car il ne voulait plus vivre. Le temps qui s'est écoulé entre sa mort romane

Entre nous (78)

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Lundi 22 avril 1996 Écrire ainsi, afin de ne pas oublier ce qu'il dit dans les moments qu'il cherche à rendre intenses, en provoquant l'émotion, qui ne vient que pour lui. C'est difficile pour moi d'y revenir ensuite, parfois même douloureux, mais je dois le faire. Regard forcé, forçant le mien, il murmure : Je suis ... puis plus rien. Je pense, sans le quitter des yeux mais je ne suis déjà plus là, au cogito cartésien. Je pense donc je suis ... puis à celui, lacanien : Je pense : donc je suis . Affaire de ponctuation seulement... Pourquoi ne finit-il pas ses phrases ? On attend beaucoup de ces points de suspension-là... On attend ce qui va suivre. Mais ça ne vient pas. Ça en reste là. - Je suis... - Qu'est-ce que tu es ? dis-moi... Phrase inachevée, qu'il a déjà oubliée. Cet homme n'a pas de suite dans les idées. Et il me reproche de ne pas écrire, ces temps-ci ! - Il y a un relâchement, en conclut-il. - Bon, alors, tu