Laisser glisser ma plume

 



La série des Entre nous m’a enseigné à écrire en phrases directes (même si très retravaillées par la suite), m’a appris aussi la continuité, la régularité, le ton narratif chronologique et l’art de tenir la bride aux réalités. Mais j’ai de façon délibérée aussi bien évité toutes les autres difficultés. Il n’y avait qu’à laisser glisser ma plume, la rendre légère, qu’elle se porte, se lève, s’abaisse… Et je n’ai pas le moins du monde chercher à arrondir les angles. Au contraire, plus ça crissait plus je me sentais heureuse. J’ai creusé – creusé – creusé toujours plus profond, jusqu’à l’os, ou jusqu’à l’or noir du pétrole…

Je me sens épuisée, lessivée. Ce fut le résultat d’une impulsion parfaitement déterminée, que d’écrire cet Entre nousDialogues. Désir de gaieté ; envie d’air, d’oxygène et de fantaisie aussi ; désir (et ceci est plus que tout important) de donner aux choses leur valeur caricaturale. Cette intentionnalité plane encore et toujours sur moi. Je veille en continu à ce qu’elle produise en moi encore à présent ses effets et me donne cette toujours envie d’écrire comme bon me semble. J’aimerais poursuivre dans cette veine-là qui est profonde en moi, enracinée, urgente, et maintenant assumée. Certaines besognes doivent l’être pour permettre au cerveau de se reposer quand il n’est pas en action. Le don comporte une part de jeu ; inemployé sous sa forme de simple don, il permet, en alternance, de soulager l’autre, qui lui, sérieux et peu à peu devenu un métier, n’est plus une grâce particulière.
Et maintenant espérons que tout est dit de ce côté. Que tout a été dit du moins. En rajouter serait de trop.
Je sens mon âge, ma maturité. Maintenant je n’ai plus envie que de m’amuser. Embrasser des choses légères qui n’ont aucun poids que celui qu’on veut bien leur donner. Combien chacun de nous compte peu, et le cours de la vie est si rapide, si furieux, si puissant ; et comment ces milliers d’êtres qui la composent sans le savoir nagent en elle au péril de leur vie…
Je commence à être réellement indifférente à ce que pensent les autres. La joie de vivre est dans ce qu’on fait. Et par rapport à l’écriture je pense (et constate) que c’est le fait d’écrire et non d’être lue qui me stimule. Lorsqu'un livre publié refait surface, alors que je commence, si ça remonte à loin, de l'avoir presque oublié, et qu'un lecteur ou une lectrice entreprend de lire mes ouvrages (la partie « romans » du moins) en commençant depuis le début, je me sens incapable d’écrire autre chose pendant que je me sais lue : À quoi bon, me dis-je, puisque tout est déjà là, entre les pages resserrées et à présent (ré)ouvertes par les mains et le regard attentif et attentionné, d’une personne avisée et bienveillante. Tout ce que j’essaierai d’ajouter pour « compléter » serait de trop, ou moins spontané, et, encore pire, déjà dit ou écrit. Ce serait donc « moins bien » - cela dit en deux mots. Ça suffit!
Il m’arrive d’avoir à remarquer, chez certains de mes amis (ceux qui sont loin-près) une cordialité à la fois tendre et émouvante – qui me touche en tout cas, un plaisir émanant de notre intimité rafraîchissante, comme si le soleil se couchait. Était en train de s’effacer, mais tout doucement. Souvent cette image me revient avec le sentiment de mon état physique, devenu plus froid, comme si mon soleil à moi s’éloignait.

Je me suis trop rendue consciente au fil du temps de ce que j’appelle la réalité, c’est-à-dire une chose que je vois devant moi, à côté de quoi rien ne compte, en quoi je trouverai peut-être une certaine forme de repos et continuerai d’exister – si au moins je parvenais à l’exprimer à l’aide de mots.
18 avril 2022

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